Le Français est inquiet et raleur !

Il est beaucoup plus anxieux que ses voisins européens
sur l'avenir de ses enfants, redoutant de devenir pauvre, sans abri ou de perdre son emploi, méfiant sur la justice et la police, sur la mondialisation ou encore les syndicats et le Parlement, se suicidant même davantage.

Et ce dans un pays plutôt moins pauvre et moins inégalitaire que la moyenne européenne !

Ce portrait-robot, paradoxal, du Français dans l'Europe est dressé par le Centre d'analyse stratégique (CAS)
dans le document "Les réalités sociales françaises à l'aune européenne", une compilation d'indicateurs européens (Eurostat, OCDE), et doit être présenté, lundi 29 octobre, à l'occasion d'un séminaire sur la réalité sociale française.

"Les Français sont ceux qui craignent le plus, qui se plaignent le plus, alors que le pays ne se porte pas mal", s'étonne Julien Damon, responsable du département des questions sociales au CAS.

"La France va bien, dit-il encore, mieux que ce que certains "déclinologues" veulent laisser croire,
qui parlent de dépôt de bilan, mais quand bien même il y aurait déclin,
les Français seraient plus anxieux que leurs voisins.

" Pour Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté,
"la France est dans un processus de dégradation lente,
alors que beaucoup de pays voient leur situation s'améliorer".

Les Français sont les plus inquiets des risques de déclassement social,
et sont 86 % à penser qu'il peut arriver à n'importe qui de tomber dans la pauvreté au cours de sa vie",
contre 62 % en moyenne dans l'Europe à 25.

Ils sont 13 % à penser qu'ils pourraient "devenir un jour des sans-abri",
juste derrière les Lettons et les Lituaniens. Un score détonant comparé à ceux des Danois et des Néerlandais
(1 %), des Allemands (2 %) ou des Britanniques (8 %).

"On n'est pourtant pas les plus pauvres", explique M. Damon.
La France est dans la moyenne concernant les inégalités et affiche de bons résultats en termes de pauvreté.
Ce résultat doit "beaucoup à son système de transferts sociaux, qui lui permet de diviser par deux le taux de pauvreté", lequel passe de 26 % à 13 %, analyse le CAS.

En Pologne, en Irlande ou au Royaume-Uni, le taux de pauvreté initial, de l'ordre de 30 %, n'est ramené qu'à environ 20 % après les transferts sociaux.
Ce système passe par des dépenses sociales de 4 points supérieures à la moyenne européenne
(31,2 % du PIB, contre 27,3 %).

Anxieux, les Français sont aussi nettement plus défiants vis-à-vis des institutions (Parlement, syndicats) et font moins confiance à leur police (63 % contre 68 %) et à leur justice (42 % contre 50 %).
Et les Français "craignent davantage pour leur propriété", alors que le nombre de policiers par habitants est supérieur (393 pour 100 000 habitants contre 314 en Europe).
Comment expliquer ce côté anxiogène des Français, plus pessimistes aussi que la moyenne européenne
pour l'avenir de leurs enfants
- 76 % pensent que leur vie sera "plus difficile" que la leur contre 64 % pour les Européens ?

Pour Julien Damon, "la France est le pays qui parle le plus de pauvreté".
"Depuis 1984, explique-t-il, c'est devenu un rendez-vous annuel obligatoire pour tous les politiques,
au début de l'hiver, on rappelle l'exclusion et la pauvreté qui augmentent, alors que c'est faux." La pauvreté a changé d'aspect ; devenue plus urbaine, elle s'est concentrée et est donc plus visible.

Enfin, elle touche plus de jeunes. "Le premier des minima sociaux, rappelle M. Damon, était le minimum vieillesse jusqu'au milieu des années 1990. C'est aujourd'hui le RMI." D'autres éléments plus objectifs expliquent aussi l'inquiétude française. En tout premier lieu, la persistance d'un chômage de masse qui place la France en queue de peloton de la classe Europe. Longtemps autour de 10 %, aujourd'hui encore supérieur à 8 %, le chômage affecte toutes les couches sociales. Et les jeunes et les seniors sont les premiers pénalisés quant à leur place sur le marché du travail. "Les protections sociales traditionnelles marchent moins bien, et la gloriole sur le modèle social français qui répondrait à tout, ramenée à la réalité, crée de l'angoisse", explique encore M. Hirsch.

Le modèle social de 1945 était fondé "sur le plein-emploi, et une cellule familiale où monsieur travaille
et madame reste à la maison pour s'occuper des enfants", analyse M. Damon.



De fait, la répartition dans les dépenses de prestations sociales selon les risques ne laisse que 1,6 % des dépenses pour la pauvreté et l'exclusion, contre 43,5 % pour la vieillesse ou 29,2 % pour la maladie. De quoi renforcer l'angoisse des Français quand, ainsi que le décrit M. Hirsch, "les mécanismes de pauvreté touchent dorénavant le coeur de la société et que ce qui était inconcevable, chômage, exclusion, est devenu concevable par tout le monde".